Libre opinion





Bureau du député de Portneuf et
ministre délégué à la Santé, aux Services sociaux,
à la Protection de la jeunesse et à la Prévention
M. Roger Bertrand

Créer un système privé de soins de santé,
c'est faire entrer la capacité de payer
dans le diagnostic de la maladie

 

Dominique Bédard, Médecin

Le Soleil, 8 janvier 2003 - On ne peut demeurer indifférent au débat sur la privatisation des services de santé, débat dont les enjeux sont majeurs et où on a parfois peine à situer le souci du malade à travers les intérêts mercantiles et électoralistes.

L'élection au prochain scrutin d'un parti politique favorable à un système privé de soins de santé permettrait aux nantis d'apprendre qu'ils sont les citoyens les plus malades de la société et qu'ils seraient les premiers à avoir accès aux traitements. La raison en est fort simple : les gouvernements ont jusqu'ici oublié de faire entrer la capacité de payer dans le diagnostic de la maladie et d'en faire le symptôme principal. Ce parti politique obvierait à cette anomalie en donnant une nouvelle définition de la maladie, lui permettant de créer un double système de soins de santé, l'un pour les nantis, l'autre pour les citoyens moins fortunés.

En d'autres mots, la capacité de payer serait le critère de différenciation qui privilégierait l'accès aux traitements. Et le gouvernement apprendrait aux moins fortunés qu'ils ne sont pas aussi malades qu'ils le pensent et qu'ils devraient patienter davantage... sur les listes d'attente.

On peut difficilement penser que le gouvernement qui créerait un système privé pour se sortir d'une impasse financière investirait suffisamment dans le système public. Il en minimiserait plutôt les lacunes et soulignerait les prétendues retombées bénéfiques du privé. Il en arriverait fatalement à appauvrir le système public et, afin de tenter d'en minimiser les conséquences, favoriserait un accroissement de l'achalandage des «cliniques privées payantes».

Mais il aurait à résoudre un dilemme : tenterait-il ou non d'adopter des mesures pour limiter le passage du personnel professionnel du public au privé ? Par ailleurs, informerait-t-il les citoyens qu'il en financerait la formation pour alimenter le privé ?

Les citoyens ayant la capacité de payer -- ou croyant l'avoir -- seraient également des victimes du système privé, mais à d'autres égards. Tous goûteraient à des prix exorbitants, mais plus encore, la grande majorité d'entre eux y consacreraient leurs économies ou connaîtraient un endettement critique, voire dramatique. Jouant sur deux tableaux et en raison du coût des primes d'assurance en escalade incessante, ils prendraient le risque de ne pas se prémunir contre le mauvais sort.

Les «cliniques privées payantes» réduiraient les listes d'attente, et les plus démunis, par ricochet, en profiteraient. Une telle conséquence est possible, mais elle ne serait qu'éphémère et ne serait certainement pas généralisée, alors qu'il existe une solution permanente à cet engorgement dans le cadre d'un système public.

On doit honnir et bannir un système privé de soins de santé, même en lui reconnaissant des mérites, à moins de calquer des sociétés qui triturent les valeurs fondamentales et font de la permissivité un critère de référence à toute action. C'est en épousant de tels critères selon lesquels la fin justifie les moyens que des responsables de Loto-Québec ont récemment commis une bourde publicitaire qui ne peut que provoquer la nausée. L'Éducation et la Santé seraient grandement redevables, d'un point de vue financier, à notre loterie nationale !

La solution ne réside que dans le système public qui, malgré de graves lacunes, offre d'excellents services à la population. La mission est donc d'étendre l'excellence, et, à cet égard, le gouvernement n'a aucune marge de manoeuvre, étant «condamné» à une réussite totale s'il désire vraiment la santé des citoyens et la disparition des «cliniques privées payantes» pour les empêcher de tomber sous leur joug. Sa seule latitude réside dans l'exclusion de services de la protection générale. Des exemples nous sont donnés par sa politique de vaccination contre l'influenza, où seules les populations à risque bénéficient de la gratuité du service, et par le régime d'assurance-médicaments, où seuls les indigents n'ont rien à payer.

Enfin, le gouvernement doit encourager et soutenir le développement des «cliniques privées gratuites» car celui-ci ne pose aucun problème, bien au contraire. De telles cliniques contribuent à la décentralisation des services pour en alléger les coûts et les rapprocher de la population.

La mission n'a rien d'utopique. Des suggestions comme la création d'un organisme indépendant de gestion et la constitution d'une caisse-santé sont des avenues intéressantes. Les citoyens accepteraient une hausse des impôts, mais à des conditions que le gouvernement connaît et dont il doit nécessairement se rendre compte : qualité des services et administration rigoureuse des deniers publics. Le système public doit être sans bavures. Aussi, la volonté politique et le courage doivent être au rendez-vous.

Depuis plusieurs décennies, le Québec essaie de se doter d'un modèle de société où l'intérêt de ses citoyens prime. La privatisation de notre système de santé, en parallèle à l'actuel, constituerait un recul dans cette recherche. Du même coup, on ouvrirait la porte à des changements majeurs de même orientation dans d'autres domaines aussi vitaux.

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