Lettre ouverte





Bureau du député de Portneuf et
ministre délégué à la Santé, aux Services sociaux,
à la Protection de la jeunesse et à la Prévention
M. Roger Bertrand

Minute, monsieur Dumont !

 

Pierrette Trottier

Brossard, le 28 octobre 2002 - Écoutez-moi bien, monsieur Dumont! J’ai 75 ans. Je suis infirmière et native d’une belle région du Québec, Saint-Casimir de Portneuf. Ma vie a été remplie d’espoirs réalisés, tellement le Québec a progressé en 40 ans. J’ai connu la réprobation de travailler comme femme mariée. J’ai connu l’inéquité salariale ainsi que le non-droit au fonds de pension et aux assurances comme mes collègues masculins. J’ai connu le refus d’une carte de crédit à mon nom, chez Sears, à Brossard. Il fallait signer madame Arthur Tartampion. J’ai connu l’impossibilité d’acheter une assurance privée pour ma famille. J’ai connu l’obligation morale de ne pas « empêcher la famille ». J’ai connu les filles-mères obligées de donner leur enfant. J’ai connu l’inexistence de garderies, même payantes. Pas de surveillance du midi à l’école, il fallait être à la maison. Et dire que vous, monsieur Dumont, vous osez remettre en question nos garderies à 5$!

Mes enfants sont nés 9 et 10 ans avant l’assurance-maladie. Seuls les vaccins étaient gratuits. Tout cela, il y a de trente à quarante ans seulement, même adresse, même numéro de téléphone. Les jeunes femmes ne veulent pas le croire. Monsieur Dumont, ces conditions n’ont pas fait partie de votre expérience de vie. C’est peut-être pour cela que vous proposez des « changements » que j’estime être des reculs?

Au travail, ma première convention collective fut instaurée sous Jean Lesage, conseillé par René Lévesque. Un progrès qui s’est révélé un facteur d’entraînement dans le reste de la société contre la précarité d’emploi et de salaire. Puis, l’assurance-maladie a fait en sorte que je n’avais plus à choisir entre une chirurgie nécessaire ou l’épicerie! Un jour, je lis dans les journaux une déclaration de monsieur Bourassa; je reconnais mes propres paroles rabâchées à mon syndicat. Il disait : « L’argent des femmes a la même valeur que celui des hommes et devrait leur acheter dorénavant, assurances et fonds de pension dans la fonction publique. »

Autre délivrance : l’assurance-automobile donne congé de la cour et des avocats pour le moindre accrochage. La loi Kirkland-Casgrain donna le pouvoir juridique aux femmes, ce qui me permit d’avoir enfin une carte de crédit à mon nom et de signer « Pierrette Trottier » plutôt que madame Arthur Tartampion. La contraception a fini par devenir un choix admis, permettant des maternités responsables. Enfin, le régime des rentes et les RÉER, deux mesures sociales importantes, ont ajouté un filet de sécurité à des vies modestes comme la mienne! Pourtant, monsieur Dumont, vous promettez de mettre fin à la sécurité que représentent les RÉER.

Vous avez l’intention de refuser aux étudiants les avantages dont vous avez profité vous-même quand vous avez fait vos études à l’université, comme les frais de scolarité actuellement les plus bas en Amérique. Tout votre programme est teinté d’élitisme, car vous favorisez les plus fortunés.

Quand j’entends toutes les inepties, toute la mauvaise foi politique transformant le système de santé en épouvantail, je me souviens, et je constate que nous n’avons jamais été autant soignés. Dans les années 70, les septuagénaires ne recevaient pas les soins d’aujourd’hui : pas de pontages, pas de remplacements de hanches, pas de réadaptation, pas de pace-makers, pas d’opérations de cataractes, etc.

Quand les urgences débordent, c’est parce que personne n’est refusé! Est-ce admirable ou scandaleux? Par ailleurs, cet engorgement a existé sous tous les régimes. Demandez à madame Lavoie-Roux, ministre de la Santé, sous Robert Bourassa, fin des années 80. À cette époque, vous aviez 15 ou 16 ans, vous rappelez-vous, monsieur Dumont? La vraie désorganisation découle des coupures du gouvernement fédéral dont l’engagement dans la santé de 50% au départ a diminué à 14%. Vous le mentionnez rarement, occupés que vous êtes à flétrir l’actuel gouvernement!

Cette propension à nous croire la plus malheureuse et la plus pauvre des provinces, à ne comparer avec personne, m’agace au plus haut point! Quand le gouvernement, par compassion, a fait traiter certains cancéreux aux Etats-Unis, on a dénoncé aussi ce fait comme scandaleux!

D’un côté, il y a le gouvernement central qui enrichit systématiquement l’Ontario, en y ayant le siège du gouvernement, l’industrie automobile, les laboratoires de recherche, l’armée et j’en passe. Dans l’autre plateau de la balance, il y a les efforts soutenus du même gouvernement en vue de déstabiliser le Québec. Le ministre libéral Stéphane Dion n’avait-il pas dit, en 1995, qu’il fallait « faire souffrir le Québec »?

Il y a donc une logique et non une honte derrière la pauvreté, si le mot « pauvreté » peut décrire le Québec sans faire injure aux vrais pauvres de la planète! Le seul antidote serait d’être « maîtres chez nous »! Ça, ce serait bouger et amener du changement! Là, vous l’auriez, l’affaire!

Tous les progrès de justice sociale qui ont jalonné ma vie me semblent aujourd’hui menacés par une vague déferlante nommée Mario Dumont. Sans expérience pertinente, sans équipe aguerrie, narcissique, au point de prendre vos décisions à chaud, sans les soumettre auparavant aux membres de votre parti, complètement hors du champ de la relation de cause à effet dans votre pensée d’improvisateur, les sondages vous donnent pourtant comme le plus apte à gouverner! À mon avis, votre programme se révèle plutôt apte à créer le chaos en santé, en éducation, dans la fonction publique, dans les finances publiques et dans nos mesures de protection sociale.

Réfléchissons, bon sang!

-30-

COMMENTAIRES ?